Partie I - Les bouteilles de toute une vie de John Szabo
- SérieReflective
- PaysFrance
- AuteurJohn Szabo
Partie I - Les bouteilles de toute une vie de John Szabo

Mieux connu aujourd'hui sous le nom de Domaine de La Romanée Conti, ou DRC, ce domaine légendaire est nommé d'après le vignoble éponyme inégalé, dont le DRC est le seul propriétaire. Comme le savent tous les collectionneurs, c'est le vin le plus rare et le plus cher au monde, un premier parmi les égaux. C'est un privilège rare de goûter un millésime actuel, mais une bouteille de cet âge est certainement unique dans une vie.
Le Prince de Conti, réputé être l'homme le plus riche de France au XVIIIe siècle, ajouta son nom au vignoble déjà célèbre de La Romanée, qu'il acheta en 1760. Le vin de ce vignoble, à cette époque comme aujourd'hui, était presque impossible à obtenir ; le prince réservait toute sa production uniquement pour son usage personnel. Cependant, lors de la grande égalisation de la Révolution française, les terres du prince furent confisquées et mises aux enchères.
En 1869, le vignoble a été acheté par Jacques-Marie Duvault-Blochet, un négociant de Santenay, arrière-arrière-arrière-grand-père du co-propriétaire actuel, Aubert de Villaine. Après des héritages successifs, en 1912, Edmond Gaudin de Villaine, époux d'une des petites-filles de Duvault-Blochet, et son beau-frère, Jacques Chambon, sont devenus les seuls propriétaires du domaine. Ainsi est né Villaine & J. Chambon. Tout le vin du célèbre vignoble a été embouteillé sous ce nom de domaine jusqu'en 1942. Cette année-là, le domaine a /été converti en Société Civile de La Romanée Conti, composée d'actions, et Chambon a vendu ses parts à Henri Leroy, un ami proche d'Edmond Gaudin de Villaine, qui soutenait le modèle alors peu commun d'un domaine possédant et contrôlant tous ses propres vignobles. Aujourd'hui, le DRC est dirigé par Aubert de Villaine et Henri Frédéric Roch, neveu de Lalou-Bize Leroy.
En 1934, l'année a commencé un lundi. C'est l'année où Alcatraz est devenu une prison fédérale, et Adolf Hitler a été élu Führer par plus de 95 % des électeurs allemands. Le premier championnat de golf Master a eu lieu à Augusta, en Géorgie, et la chanson entraînante "Santa Claus Is Comin' to Town" a été entendue pour la première fois dans le show d'Eddie Cantor. Rudyard Kipling et William Butler Yeats ont reçu le Prix de Göteborg pour la Poésie.
Dans les vignobles de Bourgogne, 1934 a apporté une rare coïncidence de qualité et de quantité, comme en 1999 et 1959, des millésimes dont nous désespérons d'avoir davantage ces jours-ci. Et du vin, eh bien, il y a peu de mots qui puissent le décrire. Il a été servi avec un magret de canard saisi, avec une gastrique de Maury, des figues et des noix de pécan, mais l'assiette merveilleuse a rapidement disparu de la vue alors que le vin plus grand que nature s'imposait sur le devant de la scène et procédait à susciter l'une des expériences les plus émotionnelles que j'ai jamais eues avec un vin. Cet octogénaire majestueux était remarquablement vif et robuste, d'une fraîcheur éblouissante, nécessitant plusieurs minutes pour que sa pleine vague aromatique se déploie. C'était le genre de vin que vous pouviez sentir toute la soirée, ou pour toute une vie, sans vous lasser ; en effet, j'étais réticent à prendre une gorgée, voulant que la petite portion que nous avions été servis dure le plus longtemps possible pour pouvoir vivre pleinement sa gloire aromatique, pour l'imprimer à jamais dans ma mémoire olfactive. À cet âge, on n'attend pas beaucoup de muscle, pourtant ce Romanée-Conti frémissait toujours sur un cadre généreusement charnu et bien renforcé. À la fois apaisant et caressant, mais affirmé et autoritaire. Tout simplement brillant et absolument spectaculaire.
Je n'oublierai jamais ma première et unique visite dans les caves sacrées de Dominique Lafon au printemps frisquet de 2000. Même à cette époque, et encore plus maintenant, Dominique était comme une rock star parmi les étoiles en Bourgogne ; les gens chuchotaient quand il entrait dans un bar ou un café à Beaune. Nous avons dégusté sa gamme de vins extraordinaires directement du fût, y compris le Meursault Perrières de 1999 et ma première dégustation de Montrachet. C'est une saveur que je me souviens encore aujourd'hui, appréciée sans fanfare ni fioritures inutiles, juste une confluence magique de molécules dans un espace frais et sombre.
L'histoire de ce domaine légendaire remonte à Jules Lafon, né dans le Sud-Ouest de la France. Il épousa Marie Boch, dont la famille était propriétaire de domaines et négociants en vin à Meursault. Plus tard, alors qu'il était maire de Meursault, Jules invita trois douzaines d'amis à célébrer la récolte de 1923 avec un banquet. Ainsi naquit la Paulée de Meursault, un déjeuner bruyant et bien arrosé qui a toujours lieu chaque novembre le dernier jour des "Trois Glorieuses". Ce sont les trois jours que tout amateur de vin de Bourgogne rêve d'assister, comprenant le célèbre banquet du Clos de Vougeot et la vente aux enchères des Hospices de Beaune.
Passant par les fils Pierre et Henri Lafon, ainsi que le petit-fils René Lafon, Dominique a pris en charge la pleine responsabilité des 13,8 hectares de vignobles et de la vinification en 1987, à l'âge de 26 ans. Le Meursault Perrieres 1999 provient d'une parcelle de 3/4 hectare de vignes dans la partie inférieure des Perrières, connue sous le nom de Perrières Dessous, largement reconnue comme la meilleure partie du cru (si l'on se base uniquement sur l'expression de Lafon). Le vignoble est exploité en famille depuis quatre générations, et les vignes en 1999 avaient un demi-siècle. Dominique avait converti la parcelle en agriculture biodynamique trois ans plus tôt, en 1996, avec des progrès qualitatifs déjà remarquables en 1999. "Nous avons récolté sous un temps ensoleillé et très froid une récolte normale (40 hl/ha) de raisins très concentrés, avec une acidité assez élevée", se souvient Lafon. "Le vin était serré lorsqu'il était jeune et reste très concentré et acide en style."
La première gorgée de ce vin parfaitement préservé, encore jeune, m'a ramené à ce printemps froid et humide à Meursault, seulement maintenant plus sage et plus mature. De la soie et du satin sur la langue, des rêves dans mon esprit. Servi aux côtés d'une bisque de homard classique avec de l'huile de gingembre mariné, c'était la perfection.
Texte et photos par John Szabo, MS